Activer le système moteur pour soulager la douleur

Guillaume LéONARD, PhD, PT[1]

La présente édition du e-News for Somatosensory Rehabilitation présente les résultats de thèse de Mme Tara L. Packham, portant sur l’approche mise de l’avant par Claude Spicher et le Réseau de rééducation sensitive de la douleur. Cette approche, on le constate bien dans les travaux de Mme Packham, est une approche de choix pour les patients qui souffrent du syndrome de douleur régional complexe (SDRC).

Dans les milieux cliniques, l’approche de rééducation sensitive est fréquemment combinée à d’autres approches de traitement. Mentionnons, à ce titre, la thérapie miroir et l’imagerie motrice progressive (IMP), proposés au début des années 2000 pour les individus souffrant du SDRC. (1, 2) Les études réalisées sur l’IMP allaient montrer que cette technique - qui inclue généralement des tâches de reconnaissance de latéralité du membre (imagerie motrice implicite), des mouvements imaginés (imagerie motrice explicite) et la thérapie miroir (observation du reflet du membre sain) peut diminuer de manière durable la douleur et les incapacités des individus atteints du SDRC. (1-5)

L’IMP, comme la rééducation sensitive, a comme postulat de traitement la sollicitation/utilisation du membre affecté tout en évitant l’exacerbation des douleurs. De fait, l’IMP permet d’activer le système moteur sans faire bouger le membre symptomatique, minimisant du coup la possibilité que le patient voit sa douleur augmenter après la thérapie. Éviter l’exacerbation des douleurs apparaît comme un enjeu prioritaire pour ces individus, notamment en raison du rôle que joue l’inflammation neurogène dans la physiopathologie du SDRC. (6) En ce sens, l’IMP suit la même logique que la rééducation sensitive, à savoir l’utilisation du membre affecté pour favoriser la plasticité du système nerveux et renverser les changements corticaux pathologiques sans augmenter les afférences nociceptives et l’inflammation neurogène associée. (6-10) La particularité de l’IMP réside ici dans le fait que le système visé est le système moteur (contrairement à la rééducation sensitive qui vise le système somatosensoriel). Se pose alors la question : comment l’activation du système moteur peut-elle contribuer à soulager les symptômes douloureux ?

Impact de la douleur sur le système moteur

Le cortex moteur primaire (M1) et le cortex somatosensoriel primaire (S1) sont unis par l’entremise de plusieurs fibres de matière blanche. (11-14) La proximité et la densité des fibres d’associations qui unissent ces deux régions cérébrales donnent une plausibilité anatomique à l’interaction qu’observent les professionnels de la réadaptation entre motricité et somatosensation. De fait, plusieurs études font ressortir l’importance d’adresser les déficits sensoriels lors de la réadaptation des patients présentant des atteintes neurologiques comme l’accident vasculaire cérébrale (voir notamment Taub et al.10 pour une revue). Pour la réadaptation des individus souffrant de douleur chronique, le lien entre le moteur et le sensoriel reste probablement davantage méconnu. Certes, les patients souffrant de douleur chronique se font généralement prescrire un programme d’exercices. Pour plusieurs, cependant, l’effet bénéfique de ces exercices s’explique purement d’un point de vue biomécanique. Ainsi, un patient souffrant de douleurs lombaires bénéficiera d’un programme d’exercices thérapeutiques puisque ledit programme lui permettra de renforcer ces muscles, de redonner souplesse et flexibilité, et de stabiliser ses articulations douloureuses. Mais alors, comment est-ce qu’un programme d’IMP, qui n’entraîne aucun changement biomécanique tangible, peut-il soulager la douleur? Cet effet ne peut, de toute évidence, s’expliquer par les effets biomécaniques.

Il faut ici se rappeler qu’il existe une forte interaction, au niveau du système nerveux, entre le système moteur et le système sensoriel. (11-14) L’impact qu’a la douleur sur le système moteur en est un excellent exemple. En ce sens, plusieurs études montrent que l’application d’une douleur de type expérimental (ex. : tige chauffante, crème à base de capsaïcine) diminue l’excitabilité des cellules du cortex moteur. (15-20) De façon complémentaire, plusieurs chercheurs ont observé que les patients qui souffrent de douleur chronique montrent des changements au niveau du système moteur.9, (20-22)  De façon intéressante, Karl et collaborateurs a montré que les changements qui sont généralement notés au niveau de S1 chez les patients amputés souffrant de douleurs fantômes (diminution de la représentation corticale du membre affectée) peuvent également être observés au niveau de M1,21 renforçant du coup l’idée selon laquelle la motricité et la somatosensation sont intimement liées.

Stimuler le cortex moteur pour diminuer la douleur

L’interaction entre la douleur et le cortex moteur n’est pas unidirectionnelle.  De fait, plusieurs études ont permis de montrer que la stimulation de cette région (par exemple par l’entremise d’électrodes implantées au niveau du cerveau) diminue de manière appréciable la douleur. (23-26) L’effet analgésique de la stimulation du cortex moteur est rapporté pour la première fois au début des années 1990 par Tsubokawa, qui observe que la stimulation épidurale de M1 (au moyen d’électrodes implantées au-dessus de la dure-mère) permet de diminuer la douleur de patients souffrant de conditions douloureuses tenaces et réfractaires aux traitements conventionnels. (23)  Plusieurs chercheurs montrent ensuite que la stimulation transcrânienne de cette même région (à l’aide de la TMS répétitive ou de la stimulation transcrânienne par courant direct [tDCS]) produit également un effet analgésique. (27-30) Ces observations, en plus d’ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients souffrant de douleurs chroniques, montrent que le système moteur fait partie intégrante d’un réseau cérébral capable de moduler la douleur. Et, surtout, elles permettent de comprendre comment l’activation endogène du système moteur (que ce soit par l’entremise d’exercices thérapeutiques plus conventionnels ou d’un programme d’IMP) peut réduire la douleur des patients souffrant de douleurs chroniques.

Soyez actifs, bouger et activer votre système moteur : votre système somatosensoriel vous en sera reconnaissant !

Références

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  2. Moseley GL. Graded motor imagery is effective for long-standing complex regional pain syndrome: a randomised controlled trial. Pain. 2004; 108: 192-8.

  3. Moseley GL. Graded motor imagery for pathologic pain: a randomized controlled trial. Neurology. 2006; 67: 2129-34.

  4. Daly AE and Bialocerkowski AE. Does evidence support physiotherapy management of adult Complex Regional Pain Syndrome Type One? A systematic review. EurJ Pain. 2009; 13: 339-53.

  5. Leonard G and Tremblay F. Corticomotor facilitation associated with observation, imagery and imitation of hand actions: a comparative study in young and old adults. ExpBrain Res. 2007; 177: 167-75.

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  10. Taub E, Uswatte G, Mark VW and Morris DM. The learned nonuse phenomenon: implications for rehabilitation. Europa medicophysica. 2006; 42: 241-56.

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[1] Professeur adjoint, Université de Sherbrooke, Faculté de médecine et des Sciences de la santé, Ecole de réadaptation, programme de physiothérapie ; Sherbrooke (Qc) J1H 5N4 Guillaume.Leonard2@USherbrooke.ca

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