De l’importance de l’alliance thérapeutique
Valérie LAURENT
RSD (bientôt) certifiée, ergothérapeute D.E.
Pour ce deuxième partage d’expérience, je vous propose de (re) découvrir un outil performant en rééducation sensitive : l’Alliance thérapeutique.
« L'alliance thérapeutique désigne le processus interactionnel qui lie patient et thérapeute autour de la finalité et du déroulement de la thérapie. Souvent synonyme de relation thérapeutique, il croise aussi les concepts d'empathie, de relation d'aide et de transfert. »
(Collot, 2011)
On pourrait ajouter que l’alliance thérapeutique est aussi faite de mille et un détails et est différente d’un patient à l’autre. Même si elle n’est pas officiellement actée, elle est capitale dans une prise en soins et est délicate à mettre en place.
A travers l’étude rapide d’un cas clinique, je souhaite partager avec vous les différentes étapes de la mise en place de cet outil que j’ai pu observer lors d’une prise en charge en rééducation sensitive.
Vignette clinique
Madame G. est une jeune et dynamique retraitée de 68 ans qui a longtemps travaillé en temps que secrétaire médicale à la faculté de Médecine de Paris. Elle m’est adressée en ergothérapie pour une prise en charge rééducative post-opératoire d’une vertébrectomie L5 (suite à diagnostic de chordome L5 [14]). La prescription en ergothérapie mentionne une prophylaxie/économie rachidienne dans un contexte algique et en période de stress important. Lors du bilan d’entrée, la patiente évoque vaguement des douleurs sur la face supérieure du pied gauche. Ces douleurs sont apparues il y a environ 5 ans, suite à l’ablation d’un névrome de Morton. Ces douleurs ont engendré et occasionnent encore la prise de Gabapentine. Elle me précise également qu’elle a appris « à vivre avec », car aujourd’hui c’est uniquement l’ablation de sa vertèbre L5 et ses conséquences qui la préoccupent.
Ainsi, mon questionnement : Est-il légitime de commencer une prise en charge sensitive des douleurs neuropathiques de Madame après 5 ans ? Et si oui : comment en parler avec Madame ? Comment la motiver pour participer à sa prise en soins ?
C’est dans la co-construction de l’alliance thérapeutique que des réponses sont progressivement arrivées. Je vous propose ici quelques détails en quatre étapes.
Mise en place de l’outil / Alliance thérapeutique
Niveau 1 : Transmission d’information et consentement du patient.
Pour Madame, il n’a jamais été évoqué d’allodynie[15] et je suis la première personne qui lui parle de prise en charge sensitive des douleurs neuropathiques (Spicher et al., 2020). Nous entamons alors une petite discussion. Il s’agit pour moi de trouver les mots simples pour expliquer le « QUOI » (c’est une zone de votre peau qui dysfonctionne), puis préciser le « POURQUOI » (des lésions des neurofibres Aβ) et le « COMMENT » (contre stimulation tactile à distance »).
C’est aussi l’occasion pour moi de repenser, reformuler ces concepts.
Madame G.me confirme que le tableau clinique correspond à ce qu’elle a vécu en post-opératoire 5 ans auparavant : elle évoque « de fortes douleurs intermittentes comme des décharges électriques » et en parallèle des « douleurs au toucher et des difficultés à se chausser » (dues au frottement de la chaussure sur la face supérieure du pied).
Ces différentes douleurs se sont atténuées depuis 5 ans mais nécessitent encore la prise de Gabapentine qui ne les soulage que partiellement.
La patiente semble intéressée par ces informations mais dit préférer se concentrer sur la prise en charge du rachis. Je lui fais alors parvenir divers articles scientifiques sur le sujet par e-mail et lui suggère d’en reparler quelques jours plus tard.
La semaine suivante, après avoir parcouru les différents articles, la patiente souhaite être évaluée, elle mentionne aussi une allodynographie[16].
Elle dit avoir noté le concept de neuroplasticité qui permet de comprendre « l’indication de rééducation sensitive […] même de nombreux mois, voire de nombreuses années après l’événement traumatique, compressif ou infectieux. » (Spicher et al., 2020, p.42)
C’est dans ce contexte que se met en place notre alliance thérapeutique, qui prend forme autour d’un « consentement libre et éclairé »[17] « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Une première allodynographie est alors réalisée, sur le territoire de provenance cutanée de la branche terminale intermédiaire du nerf péronier superficiel gauche.
Mais les cinq éléments topographiques (Spicher et al., 2017) sont difficiles à déterminer. La prise de Gabapentine pourrait-elle gêner l’évaluation ?
Il serait alors pertinent de pouvoir suspendre le traitement pour évaluer correctement mais… problème : Madame a peur d’avoir trop de douleurs (en relation avec la vertébrectomie qui s’ajoute aux douleurs chroniques au pied). Comment donc favoriser son adhésion ?
Calibrage de l’outil / Alliance thérapeutique
Niveau 2 : Favoriser l’adhésion lors d’une discussion thérapeute/patient/médecin
Lors d’une rencontre patient/thérapeute/médecin, il est discuté la possibilité d’une fenêtre thérapeutique (arrêt du traitement antalgique) pour pouvoir évaluer avec précision le territoire allodynique. Les faits suivants sont exposés :
Madame G. explique qu’elle craint d’avoir mal et de ne pas pouvoir dormir à cause de douleurs (sans traitement médicamenteux) et de ne pas pouvoir avancer dans la rééducation du rachis ;
Je précise la nécessité de ne pas être médicamenté lors de l’évaluation pour ne pas en fausser les résultats et ainsi être plus efficace dans la prise en charge sensitive et je partage avec le médecin les problèmes sensitifs de la patiente.
D’où la suggestion du médecin : suspendre le traitement sur une journée avec reprise en soirée. L’évaluation devra avoir lieu en fin d’après-midi. Toutefois, si les douleurs sont trop intenses au cours de la journée, la patiente peut, à tout moment reprendre le traitement.
Cette solution est adoptée par nous trois.
Ainsi, « un climat de confiance, une écoute attentive et une disponibilité du thérapeute sont donc des prérequis essentiels » (Spicher et al., 2020, p.155) ; ils permettent de favoriser l’adhésion du patient et du médecin.
Montée en puissance de l’outil / Alliance thérapeutique
Niveau 3 : Evaluation thérapeutique
L’alliance thérapeutique commence à se structurer entre nous deux et sera renforcée lors de l’évaluation du territoire allodynique.
En effet, d’une part, « cette évaluation a pour particularité d’être elle-même thérapeutique, au sens elle incite le système somesthésique à se réorganiser en réponse aux stimuli effectués dès l’évaluation initiale, puis lors des évaluations hebdomadaires. » (Bouchard et al., 2021, p.3) et d’autre part « elle permet de montrer l’invisible » (Spicher et al., 2020, p.63).
L’allodynographie réalisée sera positive et en faveur d’une allodynie mécanique simple de la branche terminale intermédiaire du nerf péronier superficiel gauche (stade II des lésions axonales Aβ).
L’arc-en-ciel des douleurs[18] permettra de noter l’allodynie comme discrète (15g.)
L’évaluation se poursuivra par la recherche d’une zone de travail confortable pour la contre-stimulation tactile à distance.
Malheureusement, la patiente sera placée en isolement par la suite (cas contact à la Covid 19) et la rééducation sera suspendue. Comment motiver Madame pour la poursuite de la rééducation sensitive ?
Régime établi de l’outil / Alliance thérapeutique
Niveau 4 : Education thérapeutique du patient
Il me faut donc trouver les bons mots pour favoriser une bonne observance du traitement. Le contexte est assez particulier : Madame est en isolement (donc une évaluation de suivi pour objectiver les progrès n’est pas envisageable) et la date de fin d’hospitalisation est fixée dix jours plus tard.
La prise en soins ayant été coconstruite, il est alors possible de s’appuyer sur une éducation thérapeutique du patient.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé[19], « l’éducation thérapeutique du patient vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique ».
Et plus précisément, Selon la Haute Autorité de la Santé[20], « les finalités spécifiques de l’éducation thérapeutique sont :
L’acquisition et le maintien par le patient de compétences d’autosoins » : Faits via la recherche d’une zone de travail confortable et via la contre-stimulation tactile à distance ;
« La mobilisation ou l’acquisition de compétences d’adaptation » : La prescription de ne PAS toucher si possible est établie (Spicher et al., 2020, p.213). Il faut donc compléter en préconisant la façon de la mettre en place au quotidien.
Ainsi, comme j’ai essayé de le décrire, l’alliance thérapeutique apparait en filigrane et s’établit progressivement tout au long de la prise en charge en rééducation sensitive. Elle est à la fois un outil très performant de la thérapie et un pont entre la patiente et moi ; elle est basée aussi bien sur des éléments quantifiables que sur des éléments non mesurables. Comme vu dans l’exemple ci-dessus, elle permet de progresser, dans un échange d’égal à égal sur le chemin de la rééducation sensitive.
[14] L’organisation mondiale de la santé (OMS) définit le chordome comme tumeur maligne de grade intermédiaire ou faible, se développant aux dépens des reliquats embryonnaires de la notochorde.
[15] Douleur causée par un stimulus mécanique statique ou dynamique qui normalement ne produit pas de douleur. Dans le cadre de la méthode, ce terme désigne l’allodynie mécanique statique.
[16] Cartographie, sur papier millimétré, d’un territoire cutané allodynique où une stimulation, par une force d’application de 15 g, provoque une douleur ≥ 3 cm sur une échelle visuelle analogique.
[17] Loi de 2002 du Code de la Santé Publique (France) article L1111-4.
[18] Arc-en-ciel des douleurs : signe d’examen clinique qui a deux versants : (1) la sévérité de l’allodynie mécanique (exprimée par sept couleurs) ; (2) la cartographie, sur papier millimétré, d’un territoire cutané allodynique où une stimulation provoque une réaction douloureuse de 3 (sur une échelle visuelle analogique de 10 cm).
[19] Rapport de l’OMS-Europe (1996 [1998 en français] Therapeutic Patient Education – Continuing Education Programmes for Health Care Providers in the field of Chronic Disease.
[20] Haute Autorité de Santé https://has-sante.fr/ - Éducation Thérapeutique du Patient (ETP).
Références
Bouchard, S., Quintal, I., Barquet, O., Moutet, F., de Andrade Melo Knaut, S., Spicher, C.J & Annoni, J.M. (2021). DOULEURS NEUROPATHIQUES : méthode d’évaluation clinique et de rééducation sensitive. Encyclopédie Médico-Chirurgicale (EMC), Kinésithérapie-Médecine physiqueRéadaptation, 9(1), 1-15 [Article 26-469-A-10]. doi : 10.1016/S1283-0887(21)44930-3
Collot, E. (2011). L'alliance thérapeutique - Fondements et mise en œuvre. Paris : Dunod, 256 p.
Pipien, I. (2018). La délibération libre et éclairée, De l'histoire de la maladie à l'histoire du malade. Paris : connaissances et savoirs, 119 p.
Spicher, C., Buchet, N., Quintal, I. & Sprumont, P. (2017). Atlas des territoires cutanés pour le diagnostic des douleurs neuropathiques (3e édition) – Préface : J. Fraher. Montpellier, Paris : Sauramps Médical,102 p.
Spicher, C., Barquet, O., Quintal, I., Vittaz, M. & de Andrade Melo Knaut, S. (2020). DOULEURS NEUROPATHIQUES : évaluation clinique & rééducation sensitive (4e édition) – Préface : F. Moutet. Montpellier, Paris : Sauramps Médical, 2020, 379 p.