Douleurs neuropathiques: un mal intime (N°64)

Parler des douleurs neuropathiques n’est pas chose aisée, tant leurs passages vous transforment et vous livrent une trace indélébile. Déroutantes, elles vous laissent d’abord pantoise. Puis, elles vous déstabilisent jusqu’à douter de vous et de votre propre discernement. Enfin, elles vous isolent du monde et de votre entourage. Survenant par crises, ces douleurs vous rongent et vous consument sans qu’aucun médicament ne puisse atténuer votre souffrance. Une ombre s’abat sur vous et les couleurs vives de votre existence se dessinent désormais à travers divers tons de gris.

Alors, vous comprendrez mes réticences lorsque l’on m’encourage à raconter mon expérience. Mais, je pense à toutes ces personnes qui sont dans le doute et l’incompréhension de ce qui leur arrive et qui pourront peut-être s’identifier à mon vécu. Le but de mon témoignage consiste à mettre en lumière les différents symptômes de ce trouble sous l’angle des répercussions qu’ils ont sur le quotidien des patients, afin d’en étoffer les connaissances.

Tout commence par des brûlures d’un côté de la vulve. Au fil du temps, des douleurs apparaissent également au niveau rectal. S’en suivent moult traitements à base de crèmes, d’ovules et autres médicaments. Rien ne fait effet. Les consultations s’enchaînent et je reviens à chaque fois plus démunie. « Tout va bien ! » me répète-t-on sans arrêt. Vraiment ? Comment peut-on prétendre cela alors que mes brûlures s’intensifient et ne m’offrent que de courts répits qui me laissent présager une sorte de « guérison spontanée », à chaque fois déçue malheureusement… Tout contact avec cette zone devient douloureux. C’est alors que le cercle vicieux débute : je réfléchis chaque activité, chaque sortie en fonction de mes douleurs. Je me réveille et la première chose qui me vient à l’esprit est mon seuil de brûlure, qui apparaît désormais comme le baromètre de la journée. Ce problème, qui n’en est pas un selon les médecins, dicte ma vie et m’isole petit à petit du monde. Je reçois un faire-part de mariage, je me demande si le jour de leur union correspondra à une crise ou si je pourrai profiter de ces instants magiques. Au travail, les discussions avec les collègues sont de plus en plus concises et superficielles, bottant en touche lorsqu’on me pose des questions ou m’inventant des empêchements lorsqu’on me propose un café. Il faut donner le change, ne rien laisser paraître, car c’est un mal silencieux et invisible qui touche l’intime.

Puis, l’isolement se poursuit chez soi. Les bêtises des enfants m’énervent beaucoup plus vite, je deviens extrêmement irritable et peu patiente. Ramasser un jouet au sol, m’asseoir sur le tapis pour jouer au train ou courir lors d’une partie de cache-cache… comment faire comprendre à des enfants de deux et quatre ans que leur maman ne peut pas les suivre autant qu’elle le souhaiterait, car des douleurs invisibles l’en empêchent ? L’équilibre familial est chamboulé. J’ai l’impression d’être un poids, un boulet qui gâche cette si jolie famille que nous avons construit avec mon mari. Je m’en veux terriblement, car nous avons tout pour être heureux et malgré tout je n’aime pas l’image que je reflète. Je ne me reconnais pas. Une maman doit être joyeuse, toujours à l’écoute et disponible pour ses enfants. J’ai l’impression que je faillis à mon devoir. Je me demande même si mon mental n’est pas atteint. Serais-je folle à ressentir des douleurs qui n’existent apparemment pas ? J’ai honte et j’en viens à imaginer les pires scenarii : que l’on m’interne, que l’on me force à prendre des médicaments ou que l’on m’enlève mes enfants m’obsède. Je suis pétrie d’angoisse.

Puis, un médecin me parle de douleur neuropathique et me dirige vers l’ergothérapie. C’est alors que je suis admise au centre de rééducation sensitive. Pour la première fois depuis dix-huit mois, on me décrit des symptômes similaires aux miens et surtout on identifie un nerf lésé : le nerf pudendal, plus communément nommé le nerf honteux. Dans un premier temps, l’allodynie mécanique est traitée. Les crises s’espacent. Puis, les douleurs spontanées sont prises en charge. Au bout de sept mois de traitement, je n’ai plus de douleurs. Actuellement, je ne me considère pas encore guérie, car cette angoisse de la « rechute » reste présente. Les douleurs neuropathiques laissent un signal à votre cerveau, une cicatrice qui vous fait perdre une part de votre insouciance. Malgré tout, mon quotidien s’est considérablement amélioré et je peux envisager l’avenir avec confiance.

Après une longue errance, j’ai eu la chance d’obtenir un bon diagnostic qui m’a permis une prise en charge adaptée. J’ai également bénéficié d’une structure familiale qui m’a toujours soutenue. En premier lieu mon mari qui a fait preuve d’une infinie patience et d’un soutien sans faille. Il a su me rassurer et m’a prouvé, s’il était besoin, la solidité de notre engagement. Puissent toutes les personnes atteintes dans leur santé bénéficier d’autant de force et de réconfort.

E. R.

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