Nouvelle étiologie de situations de handicap
Vos patients souffrent de douleurs. Ils ne le montrent pas, car c’est socialement incorrect et le disent encore moins : cela ne se fait pas. Certains ne peuvent plus mettre un pied devant l’autre. Chaque fois qu’un de leur pied touche le sol, ils ont l’impression de marcher sur un tapis de braises. Leur périmètre de marche s’est, peu à peu, réduit à moins que rien ; ils restent confinés dans leur domicile, car marcher dans la vie quotidienne requiert ~4800 passages de pas. Ils souffrent d’une allodynie mécanique de la branche terminale du nerf saphène ; plus précisément d’une névralgie crurale intermittente. Certaines n’arrivent plus à dormir, car chaque fois que leur visage touche l’oreiller, elles se réveillent en sursaut. Elles souffrent d’une allodynie mécanique du nerf maxillaire droit ; plus précisément d’une névralgie trigéminale symptomatique incessante. En médecine, c’est le tableau clinique avec un des risques suicidaires le plus élevé. Certains ont des coups de jus, pour ne pas dire des lancées qui ne cessent d’irradier de la nuque au poignet. Au travail, ces crises ne cessent de les attaquer, au risque de tout laisser tomber. Rien n’y fait, même pas le repos. Ils souffrent de névralgie brachiale de la branche cutanée palmaire du nerf ulnaire. Certaines ont une sexualité moisie. Le moindre contact des reins aux cuisses est très désagréable, voire franchement douloureux. Elles souffrent d’une allodynie mécanique débordante de la branche postérieure du 4e nerf lombaire. Non seulement elles sont devenues intouchables, mais restent sans désir, esseulées. Certains de ces patients n’arrivent plus à subvenir aux besoins de leur famille. Chaque prise d’un outil, si elle est possible pendant un moment, devient de plus en plus difficile, au fil des heures, voire franchement impossible. Le feu, comme une rage de dent, assiège alors le poignet, au point de les réveiller, quatre, cinq, six fois par nuit. Ils souffrent de syndrome douloureux régional complexe de la branche dorsale du nerf ulnaire. Une des étiologies de ces situations de handicap était des troubles somesthésiques : une hypoesthésie tactile très souvent non-perçue et/ou une sensibilité au toucher moindre par rapport à la gêne fonctionnelle. La rééducation sensitive des douleurs neuropathiques a permis à ces patients de retrouver des habitudes de vie, de redonner quelques couleurs à leur survie, de redevenir sujet de leur existence.
Liberté, Force et Joie. Claude J. Spicher