Puissants textes, lus lentement lors d’une crise de névralgies – de plus en plus rare
Estelle MURRAY
Déjà, au Phénix, j’avais vu en Sarah Chapdelaine une belle efficacité, toute de discrétion, mais en la lisant, c’est une réflexion d’une maturité profonde que j’ai accueillie, se manifestant dans tout l’éclat de sa jeunesse. Animée par une attitude responsable, peu commune, elle s’interroge sur son statut, sa position en tant que thérapeute, sur les jeux de pouvoir qu’ils impliquent. Et au bout de sa réflexion, en point de mire, l’authenticité du lien patient-thérapeute : “I ought to interrogate my positionality as a means to establish authenticity between the client and myself.” (Chapdelaine, My Experience at the Somatosensory Rehabilitation Center: Power and Positionality, Where do I Stand? 2020, p.83)
D’une grande sensibilité, elle aime apprendre et invite ses collègues à s’engager dans un travail réflexif, impliquant la confrontation avec leur réalité corporelle et émotionnelle: “I am learning how to sit with my emotions, with the unexpected. Cultivating receptive and embodied reflection is one efficient way to unveil things that can hardly be put into words.” (idem, p.84).
Le « corps soignant » acquiert ainsi toute sa signification.
L’inconnu, l’inattendu, l’instable, l’autre, le dérangeant, l’inconcevable, l’indicible, le vulnérable, se font inexorablement sentir au cours du long processus de guérison. Qu’en faire lorsqu’on est thérapeute ? : “Engaging in reflective practice is the first step towards improving patients’ health experiences and outcomes.” (idem, p.84)
Pouvoir accompagner au mieux l’altérité du patient, lui faisant face, la regardant pour la comprendre un peu plus chaque jour. Sentir, en tant que thérapeute, ce que cette altérité réveille au plus profond de nous. Travailler cette part mutilée, empreinte parfois de mort, pour l’accueillir sans peur.
Au creux de cette fine sensibilité qui caractérise Sarah, habitent les mots et leur résonnance singulière : “The importance of words, tone, way of presenting possibilities : First, think about how you sit with the word power.” (idem, p.84)
Ses mots à elle, couchés sur la feuille, dénoncent les pratiques oppressives des systèmes de santé. J’adhère à sa dénonciation. Tellement de mots incisifs, définitifs, écrasants, qui peuvent détruire une vie ou du moins la perturber ou la mettre en danger2 . Elle part aussi, d’une même longue foulée que ces « jeunes, maîtres en matière sensitive », qui lors de leur formation partent « en croisade contre l'ignorance, l'indifférence, l'impudence de ce que la médecine propose en la matière. » (Murray, 2020)
Ses maîtres-mots : “Learn to listen and listen to learn.” (Chapdelaine, 2020, p.84)
Et la beauté de la méthode de rééducation sensitive que propose le centre de Fribourg ne pouvait lui échapper. A force d’observer, de tendre généreusement l’oreille, elle l’a capté ce récit à deux voix (Spicher et al., 2018, 2020), nécessaire à l’éclosion de la relation thérapeutique : “the therapeutic alliance is a potent curative factor in all forms of treatment.” (Marziali & Alexander, 1991)
Le patient devient puissant. Il ne s’épuise plus. Il commence à savoir comment faire, à choisir des environnements appropriés à son état, développer des stratégies, se fichant de plus en plus des standards établis, exclusifs.
Car l’impact d’une douleur qui a squatté notre corps, qui ne veut pas aller voir ailleurs si on y est, qui s’incruste lourdement, l’impact, disais-je, est sans précédent. Or, avec le temps, je vous promets, un jour, il devient possible de « s’inscrire dans une perspective temporelle favorable et d'envisager une reprise partielle de ses occupations. » (Hennequin, 2020, p.92)
Oubliez vos anciennes habitudes, ne vous torturez pas en ressassant les bons souvenirs de l’époque où vous étiez entier·e, ouvrez-vous à la nouvelle étape qui se donne à vous, - physiquement diminué·e certes-, et jouissez d’une autre intégralité. Vous sentez terriblement l’électricité, et autres déchirures et gelures en tout genre, mais vous sentez tout. Absolument tout. Cadeau.
« Même si le traitement durera sûrement encore plusieurs mois, (avant d'aborder la deuxième phase de la rééducation de la névralgie), cette méthode a inscrit Mme L. dans une nouvelle dynamique. La perspective d'un mieux-être semble changer sa perception du temps, auparavant figée sur la douleur et sa restriction d’activités. » (Hennequin, p.96-97)
Puis, j’ai hâte de découvrir les écrits de Memmi sur ce besoin de contrôle, empêchant toute rencontre. Finalement, je me réjouis d’écouter un jour les explications fulgurantes de « Miss Allodynie » -Noëmie Mermet-Joret-, travaillant actuellement d’arrache-pied au Danemark, à propos de ce qui se passe dans l’amygdale : la peur, l’anticipation, l’empreinte traumatique…empêchent probablement de sortir du cercle vicieux de la chronicité.
MERCI à tous les auteur·e·s de ce dernier eNews. Comme d’hab, toujours aussi éclairant.
Liste des références
• Chapdelaine, S. (2020). GUESTEDITORIAL My Experience at the Somatosensory Rehabilitation Center: Power and Positionality, Where do I Stand? eNews Somatosens Rehab, 17(3), 79-85 ;
• Hennequin, G. (2020). FAIT CLINIQUE ORIGINAL Névralgie fémoro-poplité incessante avec allodynie mécanique : début du traitement par rééducation sensitive à 2 mois post-opératoire d'une chirurgie du rachis. eNews Somatosens Rehab, 17(3), 92- 97 ;
• Marziali, E. & Alexander, L. (1991). The power of the therapeutic relationship. Amer J Orthopsychiat, 61(3), 383-391 ;
• Murray, E. (2020). ARTICLE ORIGINAL Au Phénix. eNews Somatosens Rehab, 17(3), 86-88 ;
Au sujet de cette auteure, vous pouvez aussi lire :
• Murray, E. (2019). ATMOSPHÈRE DOULOUREUSE No 8 À la lisière de la mutilation. e-News Somatosens Rehab, 16(2), 65 (une page) ;
• Murray, E. (2019). GUESTEDITORIAL Dés-altération. e-News Somatosens Rehab, 16(4), 113-118 ;
• Spicher, C. & Murray, E. (2020). Nuits sans repos, angoisses, isolement. NON, le SDRC de Budapest n’est PAS incurable. Salle d’attente, 6, 52-53.