Être sur le fil de mes petites joies
Claude J. Spicher[1]
La douleur obscurcit l’horizon. La fatigue épuisante est telle, que l’ébauche d’un avant-projet n’est même plus à l’ordre du jour. L’objectif qui devrait être une utopie jetée au loin devient même illusion.
Et pourtant le temps passe.
Mon corps est sidéré. Ma jambe élance comme une rage de dent. Mon ventre entier remonte dans ma gorge, je ne vomis pas, mais j’ai le cœur au bord des lèvres. Je ne suis tellement plus le bienvenu chez moi, que je préfère marcher sur les cimes des arbres, au loin. J’use et abuse de ce mécanisme de défense.
Ce qui est le plus pénible : je n’arrive plus à être sur la ligne de ma joie. Moi, qui était enfin arrivé à ne plus me nourrir d’attente, je n’arrive plus à habiter le plus-que-présent. Cette temporalité ressourçante est squattée maintenant en permanence par la perception des sensations de cuisson.
Je ne suis plus ni ici et maintenant ni au loin et à venir.
Et pourtant mes six sens ne sont pas tous obstrués par les décharges-coups de jus-chataignes-sonnées-lancées-tirées-chnaillées. Quelques portions de ma peau peuvent encore être confortables au toucher, quelques instants du moins.
Il est encore possible d’être sur le fil de mes petites joies.
Joie, Errance & Bravoure
[1] Rédacteur en chef du e-News Somatosens Rehab depuis sa création en 2004.