La vraie révolution a débuté avec…

Michael TEMGOUA TEUGANG[1] 

La méthode de Rééducation Sensitive des Douleurs neuropathiques (RSD) tend à suggérer aux praticiens et aux patients une relation de confiance, gage de la réussite de la démarche. Cette relation peut également s'étendre aux thérapeutes dont la coopération peut être déterminante. Bien plus qu'un simple traitement il peut s'agir d'un parcours entre deux coéquipiers qui d'une certaine manière se tiennent la main. Telle est la perception que me donne ma petite et finalement assez brève expérience de cette démarche thérapeutique.

En tant que médecin neurologue exerçant depuis une dizaine d'années en Afrique subsaharienne, cette approche a sensiblement modifié mon rapport aux patients présentant des douleurs neuropathiques. Au Cameroun, qui est mon pays d'exercice, nous n’avons pas d’ergothérapeutes et la rééducation fonctionnelle est à l’aube de son existence. Dès lors se pose une problématique évidente : comment concilier l'exigence de moyens aux résultats escomptés c’est-à-dire le bien-être, voire si possible la guérison ?

Initialement, l'approche pharmacologique qui était l'arme de référence, constitua avec le temps un véritable refuge devant le manque de solutions concrètes face à des patients dont la souffrance tant physique que morale risquait de devenir un fardeau pour le jeune médecin que j'étais.

Le cas le plus marquant pour moi, lorsque j’étais résident de neurologie en 2009, était ce patient d'une cinquantaine d'années, présentant un zona ophtalmique avec des douleurs atroces, insomniantes, rebelles à toutes sortes d'antalgiques : antiépileptiques, antidépresseurs tricycliques, opioïdes, etc. A chaque consultation le même rituel : prescription d'un nouveau médicament, rendez-vous dans trois ou quatre semaines pour un résultat quasi identique : pas d'amélioration clinique !

Cela semblait d'autant plus frustrant qu’avec d'autres patients présentant des douleurs neuropathiques, les traitements médicamenteux, à défaut de les « guérir », semblaient tout au moins les soulager. Autant le dire tout de suite, même pour ces patients d'évolution « satisfaisante », il s'agissait très clairement de se donner du temps avant la prochaine « rechute », mais c'était mieux que rien.

La seconde arme, non-pharmacologique a été pendant longtemps la physiothérapie avec plus ou moins de succès. Cela permettait tout de même de bénéficier d’une aide précieuse, pas toujours efficace, mais qui permettait au moins de partager ce fardeau avec un autre thérapeute. La prise en charge des lombo-sciatalgies, en particulier, semblaient être très satisfaisantes ! J’apprendrai plus tard qu'en absence d'une bonne exploration anamnestique et clinique, de nombreux autres symptômes somesthésiques ne faisaient jamais surface malgré la gêne du patient. La plus grande difficulté toutefois résidait dans le fait que nous ne parlions pas le même langage : je ne comprenais pas grand-chose à la démarche du physiothérapeute, dont je lisais à peine les comptes-rendus. De surcroît, avec les résultats thérapeutiques assez aléatoires, de mon point de vue de médecin, il m’apparaissait difficile de prescrire davantage de séances.

Cela dit, la vraie impasse concernait les patients présentant des allodynies et pire encore les syndromes douloureux régionaux complexes ! Les bains écossais, massages et parfois infiltrations ressemblaient davantage à des placebos, voire à de véritables aiguillons de la douleur !

La vraie révolution a débuté avec l’une des toutes premières patientes avec qui j’essayais d'appliquer les principes de la méthode de RSD en 2019 ! A l’époque, je découvrais la méthode en lisant sur internet quelques publications et articles d'un ergothérapeute nommé Claude Spicher ! Sans trop en comprendre le fond, je la trouvais très novatrice : il y avait des mots clairs pour définir et identifier les différents troubles, une technique rigoureuse dans l’évaluation, mais surtout dans la prescription et le suivi ! Un concept surtout retenait mon attention : la contre-stimulation vibrotactile à distance ! Cela m’apparaissait d'une cohérence inouïe tant les explications physiopathologiques étaient claires.

Pour en revenir à cette patiente, il s'agissait d'une jeune dame, d'une vingtaine d'année, étudiante en sciences de la santé. Mme M. E., qui avait été agressée, avec une plaie à l'avant-bras droit. Après suture et quelques soins assez sommaires, elle avait bien cicatrisé. Mais quelques semaines plus tard, elle avait développé des douleurs de type décharges électriques qui irradiaient jusqu’aux trois premiers doigts de la main droite. Elle se plaignait également de fourmillements et d’engourdissements intermittents. A l’époque sans bien connaître la méthode de RSD et aidé dans ma démarche par une kinésithérapeute avec qui j'avais partagé mes découvertes, un territoire d'hypoesthésie tout autour de la zone cicatricielle avait été identifié. Nous avions alors initié la thérapie du touche-à-tout. De fait, la kinésithérapeute était celle qui suivait la patiente toutes les semaines et nous la revoyions tous les deux au bout de quatre semaines. Certes, la patiente présentait encore quelques picotements et des fourmillements, mais la douleur avait nettement diminué. Mais surtout le territoire d’hypoesthésie, visible sur les esthésiographies, avait nettement diminué ! Mais LE « must » était d'entendre la patiente elle-même dire tout le bien qu'elle pensait de cette « guérison » sans médicaments !!! Pour nous qui étions encore des « ignorants » de la méthode, le peu que nous en savions produisait des résultats plus qu'encourageants ! Malheureusement, la patiente a fini par être perdue de vue sans savoir réellement quelle avait été l'évolution finale ! Toutefois, l’expérience était.

Depuis lors a émergé en moi non seulement le désir de poursuivre avec la méthode en faisant la formation formelle, mais surtout la volonté de travailler en équipe avec un thérapeute également formé !

En effet, malgré l’excitation de poursuivre ce chemin exaltant, la réalité du terrain était bien difficile : nous n'étions à l’époque qu'une quinzaine de neurologues pour une population de 25 millions d'habitants ! C'est dire que la non-disponibilité était un adversaire certainement plus coriace que les pathologies douloureuses elles-mêmes !!! D'où l'idée de trouver une binôme, kinésithérapeute portant le même intérêt et avec qui je travaillerais en équipe !

Ainsi, nous avions, à l'époque, consulté un patient présentant une névralgie cervico-brachiale gauche, se plaignant de douleurs de type brûlures, irradiant à l'épaule et au bras avec une hypoesthésie des extrémités de tous les doigts. La radiographie du rachis cervical avait identifié des lésions anthropiques étagées avec pincements discaux C4 - C5 / C5 - C6 / C6 - C7. Ni le scanner ni l’IRM n’avaient été réalisés. Initialement au vu des douleurs, je lui prescrivis de la prégabaline que le patient abandonna très vite du fait des effets secondaires (somnolence, étourdissements). Une semaine plus tard, nous avons donc revu le patient et avons décidé au vu du bilan, d'initier une rééducation des tracés. Après cette première consultation « commune » de rééducation et suite à la prescription du traitement, nous avons convenu que la kinésithérapeute suivrait et évaluerait le patient. Nous programmions une seconde consultation commune après environ 3 semaines ! Cela me rendait la tâche bien plus aisée, car je pouvais réellement suivre le patient, avoir l'avis d'un autre thérapeute avec qui je partageais le même langage, sans toutefois me sentir submergé de travail du fait des autres patients ! De plus, pour certains d’entre-eux, j'avais la possibilité lorsque j’étais un peu plus « free » d'entreprendre moi-même le bilan, de prescrire le traitement et d’assurer le suivi, ce qui, je dois le reconnaître, n'est pas la situation la plus fréquente !

Depuis peu, dans le but de pérenniser ce travail d'équipe, j'ai entamé la formation de la méthode de RSD avec une kinésithérapeute (malheureusement pas la première, qui pour des raisons familiales a dû s'expatrier), avec la précieuse aide de Claude Spicher et de son équipe ! J’espère que, d'ici peu, nous serons des thérapeutes certifiés et que nous pourrons affiner notre coopération afin d'être plus performants !

Je conseillerais d’ailleurs aux médecins qui s’intéressent à la prise en charge des douleurs neuropathiques de fonctionner en tandem avec des thérapeutes formés et encore mieux, de se former eux-mêmes !

[1] Médecin, neurologue, Institut de Neurosciences Appliquées et de REéducation Fonctionnelle (INAREF) ET Hôpital Bethesda, Yaoundé (Cameroun).

e-mail : michaeltemgoua@yahoo.fr

Précédent
Précédent

Carta

Suivant
Suivant

Dolore neuropatico: metodo di valutazione clinica e di rieducazione sensitiva