Nos points communs
Dr David O'HARE, MD
Lorsque Claude Spicher me proposa d'être le GUESTEDITOR de cette édition, c'est avec reconnaissance et honneur que j'ai accepté. Reconnaissance, car je ne pensais pas avoir, a priori, la légitimité d'un tel honneur, ma pratique professionnelle n'étant pas centrée sur la douleur neuropathique ou ses pathologies corrélées.
Un peu d'inconscience et la difficulté à dire non ont aussi participé à ma réponse positive enthousiaste. En préparant cet éditorial, je me rendis compte que je ne savais pas vraiment ce qu'on attendait de moi, étranger à ce domaine comme je l'imaginais. Je me suis donc mis à lire les articles et les éditoriaux des dernières années et j'ai compris que j'avais des choses à écrire et que nous avions tous tellement de sujets et de préoccupations en commun. Merci Claude !
Je me présente : médecin depuis 42 ans, les trente premières années en médecine générale dans le sud de la France. J'ai progressivement enrichi ma palette de connaissances et d'exercice par plusieurs diplômes universitaires en nutrition, diététique, thérapies cognitives et comportementales, l'homéopathie tout en passant par la médecine aéronautique et la médecine spatiale (je n'ai jamais reçu un patient pour cette dernière spécialité passionnante).
C'est la passion pour la physiologie, la curiosité et le désir de comprendre et de transmettre simplement les notions essentielles de la santé, de la rupture de cet équilibre homéostatique et de la guérison qui m'ont poussé dans ces voies à la recherche des liens et des cohérences physiologiques, psychologiques et émotionnelles.
De cohérence, il en fut davantage question lorsqu'un pseudo-hasard me fit rencontrer la "cohérence cardiaque" il y a plus de quinze ans. Je préfère les termes de "résonance cardiaque" ou de "respiration guidée"[1] plus appropriés physio-logiquement à mon goût, mais l'usage a conservé ce terme en langue française. Je me suis formé à cette technique de biofeedback par la variabilité de la fréquence cardiaque[2] auprès de l'Institut Heartmath[3] en France et en Hollande et auprès d'autres praticiens avant-gardistes. J'ai rencontré David Servan-Schreiber lors de la fondation de l'Institut de Médecine Intégrée à Paris et je participe encore aujourd'hui à l'enseignement initié à l'époque à Paris, en Belgique, en Suisse et au Luxembourg.
J'ai très rapidement modifié les techniques pour les adapter à ma propre pratique professionnelle pour n'en garder que l'approche physiologique : l'impact d'une respiration consciente et de l'utilisation de fréquences respiratoires spécifiques, la modulation des temps inspiratoires et expiratoires en observant, en HRV-biofeedback l'effet sur le système nerveux autonome et ses composantes sympathiques et parasympathiques.
De mes "expériences" de l'application de pratiques respiratoires en consultation dans le domaine de la nutrition est né un premier livre : "Maigrir par la Cohérence Cardiaque" en 2008, il fut un succès auprès du public, devint un best-seller et une nouvelle carrière de conférencier, d'enseignant et de formateur s'ouvrit à moi. Aujourd'hui, sept livres plus tard, toujours axés sur cette "niche physiologique" que représente la cohérence cardiaque, je vois les applications s'étendre dans de multiples domaines et les demandes de projets de recherche abonder.
Aujourd'hui, j'ai mon propre institut[4] à Montréal et nous avons formé plus de 3’000 professionnels de la santé, des soins, de l'accompagnement et de l'aide à la pratique professionnelle de la cohérence cardiaque en pays francophones.
Après les présentations faites que dire de ce que j'ai découvert de nos points communs après la lecture des précédents éditoriaux ?
Un besoin de reconnaissance
Bien que fondées sur la physiologie et un retour de résultats favorable d'importantes cohortes de praticiens et de patients, nos pratiques se heurtent, dans le meilleur des cas, à un assentiment passif et une prise de distance polie du corps médical et scientifique et, dans le pire des cas à du mépris voire de l'hostilité souvent causé par l'ignorance et les idées préconçues.
Nous avons besoin d'unir nos savoirs et nos ressources humaines pour fédérer les connaissances et engager de véritables études cliniques portées par les universitaires.
C'est ce qui se passe avec la cohérence cardiaque depuis trois ou quatre ans seulement, le point de départ a été la reconnaissance par la Fédération Française de Cardiologie de ma pratique du "365" comme étant la première recommandation à proposer pour la prévention des accidents cardio-vasculaires par la gestion du stress en septembre 2014. Aujourd'hui, je participe à des protocoles dans le domaine de l'Hypertension Artérielle, l'Hémodialyse, des troubles du sommeil et une étude à très grande échelle en France pour la deuxième année consécutive dans les écoles où nous mettons en place une étude multicentrique intéressant de nombreuses classes et plus de 2000 élèves, les premiers résultats sont en cours de publication avec la participation de l'Éducation nationale française.
Chaque mois voit aboutir sur mon bureau une ou plusieurs demandes de participation ou de mise en place d'une étude de validation de la pratique de la cohérence cardiaque dans un domaine précis de la santé, du bien-être ou du développement personnel.
Je crois que nous avons à poursuivre dans ce sens et profiter au maximum de celles et de ceux qui, parmi nous, ont accès aux moyens de recherche et de publication.
Je remercie Claude de m'avoir communiqué son protocole de recherche concernant l'intégration de la cohérence cardiaque dans le protocole prospectif du traitement des douleurs neuropathiques. Les résultats montrent un effet très intéressant "mirobolant" pour Claude, pour le ré-endormissement suite aux réveils nocturnes, la diminution des allodynies, etc.[5]
Les résultats confirment ce que je pensais des douleurs neuropathiques et de leur appartenance à une pathologie de type hypersensibilité.
Nous devons poursuivre dans la voie de la recherche et de la publication au moyen de protocoles simples, reproductibles, intégrant le plus possible de praticiens de tous horizons.
L'hypersensibilité
C'est le point commun majeur à mon sens. Les pathologies dites "fonctionnelles" ou "psycho-somatiques" relèvent de ce mal du siècle qui sous-tend une très grande partie des pathologies de la médecine générale : hypersensibilités électro-magnétiques, environnementales, allergies, troubles fonctionnels digestifs, spasmophilie, fatigue chronique, fibromyalgie n'en sont que quelques exemples.
Il y a plusieurs années, j'ai participé à la mise en place d'un protocole de traitement de la fibromyalgie avec la cohérence cardiaque à induction respiratoire à Allevard les Bains, station thermale dans les Alpes françaises dont c'est l'une des indications. Les résultats ont été encourageants au sein d'un protocole de soins incluant d'autres pratiques de thérapies complémentaires.
C'est l'étude pour ce protocole pour la fibromyalgie qui m'a permis d'élaborer un modèle physiologique prenant en compte la quasi totalité des hypersensibilités. J'ai présenté ce protocole à l'Association pour la Santé Environnementale du Québec dans ce sens dans le cadre de toutes les hypersensibilités. J'ai aussi retrouvé une certaine résonance dans les éditoriaux de Noëmie MERMET-JORET ou de Tara L PACKHAM rédigés pour votre publication.
Pour expliquer le mode de fonctionnement de la cohérence cardiaque dans le domaine de l'hypersensibilité, je ramène le tout à ce qui est explorable par le HRV-biofeedback : la mesure de la puissance du système nerveux autonome et la part relative des systèmes nerveux orthosympathique et parasympathique. À l'état normal, hors pathologie, il y a une oscillation permanente de type pendulaire entre orthosympathique et parasympathique centrée autour d'une "zone neutre". L'amplitude de cette oscillation est mesurable, elle est corrélée à l'amplitude de la variabilité cardiaque, elle est d'ailleurs un marqueur de santé reconnu et validé[6].
Chez les hypersensibles quelle qu'en soit la cause ou la manifestation, il y a une réduction de l'amplitude de la variabilité cardiaque avec un déplacement (shift) vers l'orthosympathique et chez les personnes hypersensibles, dont les fibromyalgiques que j'ai évalués, il semblerait que la seule façon de s'adapter à un environnement hostile (déclencheur orthosympathique) soit de basculer en total parasympathique avec des réactions d'adaptation exagérées (overkill en anglais). Ainsi ce n'est plus le déclencheur initial qui créé la pathologie mais l'hyperactivité de la réaction d'adaptation qui n'est plus adaptative mais hyper-active. C'est le cas de l'inflammation (réaction parasympathique) qui devient la pathologie dans l'allergie par exemple. Je cite Noëmie:"Whatever the cause, chronic pain is a maladaptive response of the nervous system to damage."[7]
Je vis à Montréal, au Québec, où les incendies de maison sont très fréquents, depuis 13 ans que nous y habitons, trois maisons mitoyennes de la nôtre ont été rendus inhabitables, pas toujours par les flammes, mais par l'eau des pompiers venue combattre l'incendie. C'est bien l'exemple que je donne de ce glissement des effets de l'agent pathogène initial vers les résultats de la démesure des processus de guérison sensés le combattre.
La cohérence cardiaque stimule alternativement le système nerveux orthosympathique et le système nerveux parasympathique et vient ainsi mettre en place une véritable stimulation de recentrage et d'équilibre qui en explique les résultats. Je retrouve dans vos processus de rééducation par la stimulation une approche similaire, et j'apprécie cette cohérence.
Mais voilà, je me retrouve au point commun numéro un, l'expérimenter, le documenter et le publier.
Je pense que nous sommes tous, vous et moi, sur le point d'asseoir nos pratiques sur la physiologie, cela nous rassure, nous conforte et nous permet la crédibilité nécessaire pour nos patients qui, bien souvent, ne sont pas entendus, crus ou compris par le corps médical.
Merci de m'avoir donné l'honneur de partager brièvement ce qui fait mon quotidien d'aujourd'hui et mes projets pour tous les demains qu'il nous reste à explorer.
Montréal
Février 2019
[1] Paced Breathing
[2] Variabilité de la Fréquence Cardiaque : Heart Rate Variability (HRV) pour les articles de recherche
[3] www.heartmath.org
[4] www.coherencepro.com et www.coherenceinfo.com
[5] Les données préliminaires nous permettent de garder cet enthousiasme premier pour les stades III et IV de lésions axonales Aβ – autrement dit pour les névralgies. Toutefois, il semblerait que le "365" ait une influence sur l’œdème de syndrome douloureux régional complexe de Budapest ; en augmentant l’activité parasympathique, il ne serait pas étonnant d’augmenter le volume de l’œdème présent. CJS.
[6] Les fondements le l'étude de la variabilité cardiaque : Task Force of the European Society of Cardiology and the North American Society of Pacing and Electrophysiology (1996). Heart Rate Variability, Standards of Measurement, physiological interpretation and clinical use. Eur Heart J, 17(3), 354-361.
[7] Mermet-Joret, N. (2017). Editorial : Pain: the use and the pathology. e-News Somatosens Rehab, 14(4), 152-15.