Névralgie fémoro-poplité incessante avec allodynie mécanique : début du traitement par rééducation sensitive à 2 mois postopératoire d'une chirurgie du rachis
HENNEQUIN Gaëlle
ergothérapeute DE, RSDC®
ABSTRACT
Les hernies discales, par leur mécanisme de compression sur les racines nerveuses, sont fréquemment responsables de douleurs neuropathiques. Malgré leur ablation chirurgicale, il persiste parfois des douleurs neuropathiques dont la nature varie en fonction du stade de lésions axonales des neurofibres Aβ. Ce fait clinique montre l'intérêt de la méthode de rééducation sensitive des douleurs neuropathiques lorsqu'elle est appliquée à une névralgie incessante avec allodynie mécanique risquant de se chroniciser. La première phase du traitement de la névralgie qui consiste en la rééducation de l'allodynie mécanique n'est pas terminée mais a déjà permis de réduire l’étendue du territoire allodynique et de diminuer le score du Questionnaire de la Douleur Saint-Antoine. Cela a également permis à la personne de s’inscrire dans une perspective temporelle favorable et d'envisager une reprise partielle de ses occupations.
Keywords : Chronicization, neuropathic pain, somatosensory rehabilitation method, axonal lesion, disc herniation
INTRODUCTION
La Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD) considère la hernie discale comme une cause fréquente des douleurs neuropathiques chez l'adulte en population générale (Martinez, V. et al, 2010). Elle fait parfois l’objet d’une intervention chirurgicale visant à libérer la racine nerveuse et à soulager la douleur. Malgré cela, certaines caractéristiques de la douleur survenant juste après la chirurgie peuvent évoquer la possibilité d’un passage à la chronicité (Marret et al., 2007).
Dans certains cas, malgré l'intervention chirurgicale et l'administration de traitement médicamenteux, les douleurs neuropathiques persistent et risquent d'impacter à long terme la participation occupationnelle de la personne douloureuse. Quel accompagnement pouvonsnous proposer à ces personnes dont les douleurs neuropathiques risquent de perdurer ?
Le but de ce fait clinique est d'illustrer l'efficacité de la méthode de rééducation sensitive face à des douleurs au risque de chronicisation chez une femme souffrant d'une névralgie persistant après une chirurgie du rachis.
PATIENTE & MÉTHODES
Madame L. a 41 ans, est mariée et est mère de trois enfants. Elle est actuellement en arrêt maladie mais occupait jusqu’à présent un poste de consultante en recrutement.
Début septembre 2019, Madame L. ressent de vives douleurs au niveau lombaire. Une IRM posera peu de temps après le diagnostic d’une hernie discale exclue (niveau L4) avec indication d'intervention en urgence le 5 septembre 2019.
Après l’intervention il persiste des troubles moteurs et sensitifs et c’est dans ce cadre que je reçois Madame L. en ergothérapie le 28 octobre 2019. Lors de notre entretien initial, elle évoque des difficultés lors de la toilette (difficulté pour ranger les jouets des enfants avant de pouvoir accéder à la douche et perte d'équilibre lors du lavage de cheveux), lors de l’habillage (besoin d’être assise, contact douloureux du pantalon), ainsi que pour la préparation des repas, ses déplacements, ses loisirs. Madame est en arrêt de travail depuis l’intervention.
Ses douleurs retentissent sur sa vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle et Madame L. évoque un ras-le-bol et un épuisement général suite à cet événement brutal qu’elle ne pensait pas durable… La douleur est incessante avec un territoire où celle-ci est augmentée par le toucher.
Afin de recenser ses symptômes et caractériser sa douleur, le McGill Pain Questionnaire a été passé dans sa version française validée ; le français étant la langue maternelle de Mme L.
Le Questionnaire de la Douleur St Antoine (QDSA) révèle un score total de 59 points (soustotal des douleurs sensorielles : 21 pts ; sous-total des douleurs affectives-émotionnelle : 17 pts)
Couplé aux informations déjà recueillies et à la connaissance des territoires cutanés (Spicher et al., 2017), il permet de poser l'hypothèse de la branche cutanée lésée. Celle-ci sera confirmée par une allodynographie à 15 grammes positive avant laquelle avait été déterminé l'invariant douloureux et le « STOP » à 5 cm/ÉVA (Échelle Visuelle Analogique).
Cela a permis de poser la condition somesthésique et/ou neuropathique de Madame L. : névralgie fémoro-poplité incessante du nerf cutané sural latéral droit avec allodynie mécanique (stade IV de lésion axonales Aβ).
La sévérité de l'allodynie mécanique est évaluée à la séance suivante avec la recherche du 5ème point. Celui-ci révèle un arc en ciel des douleurs neuropathiques JAUNE (le monofilament de Semmes & Weisntein de 0,7 g augmente la douleur de 1 cm sur l’ÉVA). Nous sommes donc en présence d'une allodynie grave avec un pronostic d'une durée de traitement d'un mois par couleur en moyenne, soit 5 mois environ.
Avec l'accord de Mme L., la stratégie thérapeutique suivante est mise en place pour la première phase du traitement (le traitement de l'allodynie mécanique) :
• La prescription de « ne pas toucher », si possible : celle-ci est illustrée par un schéma mettant en évidence les zones à ne pas toucher autant que possible. Les autres rééducateurs intervenant auprès de Mme L. sont également informés et impliqués dans cette démarche ;
• La contre stimulation tactile à distance. Pour Madame L., étant donné l'importance des douleurs, la contre stimulation est faite sur un niveau segmentaire supérieur à la lésion et vécu comme tout à fait confortable par Mme L (Th12). Elle réalise ses exercices au domicile 8 fois par jour pendant 1 minute (ou moins longtemps) avec un stimulus confortable car « une régression de l'allodynie mécanique ne sera possible qu'à la condition du confort » (Spicher et al., 2015).
RÉSULTATS
Lors de l'écriture de ce fait clinique, le traitement et le suivi en ergothérapie de Mme L. n'est pas terminé. Pour autant, les premiers résultats sont visibles. Ainsi, à 49 jours du début du traitement le score du QDSA est passé de 59 points à 40 points (avec une baisse notable de la note affective-émotionnelle). La superficie du territoire allodynique a, quant à elle, également diminué (Fig. 1). La sévérité de l’allodynie évolue également avec la mise en évidence d’un arc-en-ciel des douleurs VERT le 2 décembre 2019 (le monofilament de Semmes & Weisntein de 1,5 g augmente la douleur de 1 cm sur l’ÉVA)., soit 35 jours après le début du traitement.
Madame L. a su rapidement intégrer la prescription de ne pas toucher, si possible, dans son quotidien et décharger le côté douloureux. Elle dort désormais en décubitus latéral gauche, a adapté sa tenue vestimentaire et impliqué sa famille (mari et enfants) dans ce traitement.
DISCUSSION
La littérature s’accorde généralement à définir la douleur chronique comme évoluant depuis plus de 3 à 6 mois. Toutefois, certaines caractéristiques de la douleur survenant juste après la chirurgie peuvent évoquer la possibilité d’un passage à la chronicité (Marret et al., 2007).
Quand je rencontre Mme L. pour la première fois, ses douleurs sont présentes depuis 2 mois et sont pour autant vécues comme chroniques. Elle considère clairement son expérience douloureuse comme durant depuis trop longtemps.
Selon ses dires, Madame L. espérait une guérison totale après l'opération et la disparition complète des douleurs. Ainsi, lorsque la phase aiguë post-opératoire a commencé à laisser place à la chronicisation, sa perception de la douleur a eu tendance « à céder le pas vers des variables de l’ordre du psychologique et du social en tant que déterminants de la fonctionnalité du sujet mais aussi de sa capacité d’investissement de l’activité et de l’environnement » (Cedraschi et al., 2009).
Ses douleurs ont modifié ses habitudes de vies en tant que femme, épouse, mère de famille et travailleuse active. Son ressenti et son expérience de la douleur sont uniques et pourraient mener à bien d'autres interprétations chez quelqu'un d'autre. C'est ce que souligne David Le Breton lorsqu'il écrit « Une même lésion aboutit à des expériences radicalement différentes selon les situations et la particularité des individus » (Le Breton, 2018).
Pour Madame L., la notion de douleur chronique est moins en rapport avec le temps qu'avec son impact sur ses habitudes de vies antérieures.
A noter également qu'adhérer à la méthode de rééducation sensitive de la douleur a aussi signifié pour elle d’accepter de se projeter sur plusieurs mois de traitement et comprendre que « (...) toute tentative instantanée, (…), est à abolir au profit du processus de contrephénomène de la douleur. Celui-ci requiert une grande patience, car c’est une rééducation à petits pas, avec des petits mieux réguliers, mais aussi fluctuants. » (Spicher et al., 2015).
Ainsi lorsque je vois arriver Madame L. la semaine suivante le visage moins marqué, se disant plus apaisée la nuit depuis qu'elle déchargeait le côté douloureux, je comprends que le premier « petit pas » avait été franchi.
CONCLUSION
Depuis le début du traitement par rééducation sensitive, nous observons une diminution progressive de la superficie territoire allodynique (Fig. 1). Même si le traitement durera sûrement encore plusieurs mois, (avant d'aborder la deuxième phase de la rééducation de la névralgie), cette méthode a inscrit Mme L. dans une nouvelle dynamique. La perspective d'un mieux-être semble changer sa perception du temps, auparavant figée sur la douleur et sa restriction d’activités.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
• Cedraschi, C. Piguet, V., Luthy, C., Rentsch, D., Desmeules, J. & Allaz, A., (2009). Aspects psychologiques de la douleur chronique. Revue de rhumatologie, 76, 587-592 ;
• Le Breton, D. (2018). Pour une médecine de la personne. e-news Somatosens Rehab, 15(1), 2-4 ;
• Marret, E., Vigneau, A., Raffray, Y. & Bonnet, B. (2007). De la douleur postopératoire à la douleur chronique. Douleurs, 8, 211-216 ;
• Martinez, V., Attal, N., Bouhassira, D. & Lantéri-Minet, M. (2010). Les douleurs neuropathiques chroniques : diagnostic, évaluation et traitement en médecine ambulatoire. Recommandations pour la pratique clinique de la Société française d'étude et de traitement de la douleur. Douleurs, 11, 3-21 ;
• Spicher, C., Quintal, I. & Vittaz, M. (2015). Rééducation sensitive des douleurs neuropathiques (3e édition). Montpellier, Paris : Sauramps Médical ;
• Spicher, Buchet, Quintal & Sprumont (2017). Atlas des territoires cutanés pour le diagnostic des douleurs neuropathiques (3e édition). Montpellier, Paris : Sauramps Médical.