Une histoire (N°38)

« Peut-être n’est-ce que la plus extrême finesse, la plus extrême douceur du toucher extérieur qui peuvent nous relier au plus fin, au plus subtil de l’intérieur ». - O.M.C

Dessin N° 1 : fin février 2012

C’est la première fois que j’accepte de donner forme au ressenti traumatique, du plus lointain souvenir lié à la douleur. Cela me fait horriblement peur, mais j’en ressens aussi le besoin impérieux. La douleur, le traumatisme a réveillé les douleurs et les traumatismes figés, restés en suspend et qui résonnent en écho. Je devais avoir environ 3 ans, tout allait bien, je me balançais une main dans chacune des mains de mes parents, ils me soulevaient de terre, et j’avançais d’un élan, d’un bond. Et tout à coup trop d’élan peut-être, mon corps emporté par la gravité, a fait un tour complet sur lui-même, mes bras eux sont restés dans leurs mains déboîtant mes épaules. J’ai eu mal, si mal, je n’avais jamais eu aussi mal de ma vie.

J’ai hurlé de douleur, de peur, de surprise. Black-out après. Souvenirs d’un couloir au bout duquel je vois disparaître ma mère. La peur, la douleur physique, le choc émotionnel, le ressenti, le sentiment d’abandon, se sont liés, fondus, bloqués, ensemble.

Il m’en reste cette peur immense, comme une vague immense, prête à m’engloutir.

Panique, depuis toujours, d’avoir mal de nouveau, de tout re-sentir, de nouveau, de ne rien pouvoir faire, de subir, me sentir sans défense et si impuissante. Sentiment de trahison, de solitude face à la douleur ; je suis inconsolable, rien, ni personne ne peut me consoler, me préserver du mal, c’est cette première prise de conscience là qui émerge de cette expérience. Elle s’est inscrite en moi, au plus profond, dans les os et dans la chair.

Sans doute n’y a-t-il pas d’autre issue que de retraverser l’épreuve, avec mes yeux et ma conscience d’adulte cette fois ?

Dessin N° 4 : 10 avril 2012

L’ergothérapeute, Monsieur Spicher, m’a demandé si je faisais du dessin, ou une peinture, et si je serais d’accord d’en faire un : « Que voit-il que je ne vois pas » ? Une porte, une issue possible ? J’accepte l’invitation de me dévoiler, de mettre en forme le ressenti d’aujourd’hui.

C’est le nouveau point de départ, ici et maintenant.

C’est mon bras qui s’est imposé, c’est lui qui m’obsède, c’est lui qui parle. Je ne le reconnais pas, il est comme morcelé comme ma vie, au propre et au figuré en sensations paradoxales.

Peut-être me montre-t-il aussi le chemin à suivre, séparer tous les éléments, défusionner, il faut aller au fond des choses, même si c’est très désagréable. Peut-être que les choses occultées parce que trop pénibles ou source de trop d’angoisse vont-elles petit à petit prendre leur vraie dimension et place, tout comme mes os, mes muscles, tendons et nerfs.

C’est peut-être l’invitation, l’occasion de me réapproprier mon bras ainsi que ma vie.

Dessin N° 2 : 1er mars 2012

Je pleure sur ma petite sœur, qui est partie au ciel lorsque j’étais enfant et sur la perte de laquelle ma mère n’a pas cessé de pleurer. Elle, je, nous pleurons chacune sur l’aile brisée, sur tout ce qui est perdu à jamais. Mais peut-être n’est-ce pas l’autre aile qui me manque, peut-être est-ce celle qui me reste qui m’encombre, qui m’a toujours encombré, elle me retient prisonnière, me fait tourner en rond, pour me libérer, peut-être faut-il la laisser se détacher sans regrets, pour devenir pleinement ce que je suis, un être humain incarné.

L’ange que j’aurais voulu être n’a jamais existé que dans mon imagination.

Dessin N° 5 mi-avril 2012

Germination, ce mot me plaît, il me parle. Dans un des articles du journal sur la rééducation sensitive ils parlent de repousse des nerfs. Je me l’imagine, moi, comme une graine endormie qui avertie par quelque mystérieux signal se met à germer.

Le signal ce sont peut-être les vibrations répètées, en douceur, qui résonnent dans l'espace subtil, à la frontière du visible et de l’invisible, là où le matériel et l’immatériel se rencontrent, communiquent et créent une nouvelle réalité….

Peut-être n’est-ce que la plus extrême finesse, la plus extrême douceur du toucher extérieur qui peuvent nous relier au plus fin, au plus subtil de l’intérieur.

Dessin N° 3 : 1er mars 2012

Ce qui m’a coupée en deux, qui m’a arraché une aile, c’était pendant l’enfance la participation involontaire à la guerre que mes parents se livraient.

La blessure, la déchirure de la guerre, du divorce d’alors, résonne aujourd’hui dans celui brutal et inattendu de mon fils unique. Fracture, guerre extérieure, guerre intérieure, ressentis paradoxes, confrontation à mon impuissance à « sauver » ceux que j’aime, à les préserver du chagrin et des épreuves de la vie.

Dessin N° 6 mi-avril 2012

Germination. Quelque chose se passe…. au cœur de la chair ... Ce n’est plus seulement une idée qui me plait, je la ressens dans mon corps, dans mon esprit, quelque chose s’est dénoué, s’est mis en mouvement... connecté, incarné (devenu réel dans la chair).

Nous sommes tous (moi, les thérapeutes, le médecin) un peu surpris de la rapidité de l’amélioration. Que s’est-il passé pour que ça se dénoue si vite ? Sans doute le trouble était-il assez léger, récent. Peut-être le travail intérieur a-t-il contribué à préparer le terrain, comme le labourage de la terre prépare les semailles….je ne sais pas, je peux juste constater et rendre grace….dire MERCI.

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