Science et résilience

« Nous connaissons enfin l’objet de nos réflexions : il s’agit de se remettre à vivre après un trauma psychique. La définition est simple, elle est même ’’ bébête ’’. Ce qui est difficile à découvrir, ce sont les conditions qui permettent la reprise d’un nouveau développement, d’un nouveau style d’existence après une agonie mentale. Aucune spécialité  ne peut, à elle seule, expliquer ce retour à la vie. Il faut donc associer des chercheurs de disciplines différentes et recueillir leurs résultats pour se faire une image de ce processus. Il y a quarante ans, cette attitude était vivement critiquée ; elle est vivement recommandée aujourd’hui par les instances de recherche. (…) Pour un praticien, ce n’est pas compliqué, c’est même agréable de chercher à comprendre comment une personne traumatisée peut se remettre à vivre, en tenant compte de son développement biologique et affectif associé avec son histoire personnelle et familiale dans son contexte culturel. Pour un chercheur de laboratoire, c’est plus difficile parce que lui a besoin que son objet de science soit réduit pour être rendu cohérent et facile à manipuler. (…) Aucun chercheur ne peut à lui seul travailler et connaître toutes les disciplines. S’il veut comprendre et aider, il est contraint à la rencontre, ce qui est un grand bonheur. Les praticiens généralistes, médecins, psychologues et éducateurs ne peuvent échapper à ce partage du savoir. Une telle stratégie de la connaissance provoque parfois des conflits avec ceux qui prétendent à l’hégémonie de leur discipline : ’’ La biologie va tout expliquer ’’, affirment certains, tandis que d’autres veulent tout démontrer par la sociologie, la psychanalyse ou l’astrologie.

Après quarante années de pratique et de réflexions, je crois au fond de moi qu’aucune théorie ne peut être totalement explicative, sauf celles qui ont une ambition totalitaire ».

 

Cyrulnik, B. (2014). Les âmes blessées. Paris : Odile Jacob.

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