Traitement d’une névralgie incesante avec allodynie mécanique à 6 mois post-opératoire

Lauriane MEHLEN

Ergothérapeute DE, RSDC®

Abstract

Les opérations chirurgicales peuvent être à l’origine de douleurs neuropathiques. Ces dernières n’étant pas facilement diagnostiquées et le traitement médicamenteux étant modérément efficaces, les patients basculent souvent dans la chronicisation. Ces douleurs qui durent depuis de nombreux mois, envahissent leur quotidien tant sur le plan physique qu’émotionnel.

La méthode de rééducation sensitive des douleurs neuropathiques permet de prendre en compte aussi bien la dimension sensorielle qu’affective dans l’évaluation et le traitement des douleurs neuropathiques.

Ce fait clinique montre l’intérêt de l’utilisation de la méthode de rééducation sensitive des douleurs neuropathiques chez une patiente souffrant de douleurs neuropathiques chroniques, 6 mois après une chirurgie réparatrice de l’avant-bras. Même si le traitement de l’allodynie est encore en cours, la patiente a pu cheminer vers une meilleure compréhension du phénomène douloureux et adhérer au traitement, lui permettant ainsi de sortir de son état de dépression et de réintégrer progressivement sa main dans les activités du quotidien.

Keywords Neuropatic Pain - Post-Surgery - Mechanical Allodynia - Permanent Neuralgia – Emotional Pain




Introduction

Après une opération, on retrouve l’installation de douleurs chroniques chez environ 30% des patients, et on observe l’apparition de douleurs neuropathiques chez environ 50% de ces patients entre 1 et 3 mois après la chirurgie. Le diagnostic de douleur neuropathique se pose encore difficilement et avec du retard, laissant les patients dans l’incompréhension et l’errance. Les traitements pharmaceutiques proposés en première intention semblent n’avoir une efficacité que modérée et le patient est condamné à voir sa douleur se chroniciser. (Martinez, 2014).

La douleur chronique ne fait pas appel aux mêmes mécanismes que la douleur aiguë. Le cerveau émotionnel est plus touché (Beauchamp, 2005). Il peut être difficile pour certains soignants, comme pour l’entourage du patient, de comprendre ce chamboulement émotionnel et de l’associer sans jugement de valeur à une problématique physique, d’autant plus quand la problématique est une opération visant à réparer une fracture osseuse. Mais alors comment accompagner ces patients qui attendaient d’une opération la guérison et pas l’installation d’une douleur incomprise et invalidante ?

Le but de ce fait clinique est d’illustrer l’impact positif de la méthode de rééducation sensitive, sur la reprise d’activités de la vie quotidienne d’une femme présentant une névralgie dans les suites d’une chirurgie orthopédique.




Patiente et méthodes

Mme M. a 27 ans, elle est droitière, chargée de billetterie dans une salle de spectacle. En septembre 2021 elle est victime d’un accident de trajet avec fracture complexe déplacée de l’extrémité inférieure du radius droit, compliquée d’une atteinte nerveuse du nerf médian. Le traitement en urgence consistera en une ostéosynthèse par plaque vissée et libération du nerf médian. S’en suit l’apparition d’amyotrophies et de raideurs articulaires au poignet et un trouble de la sensibilité aux 3 premiers doigts, occasionnant une gêne permanente dans ses activités quotidiennes. Elle décrit des sensations douloureuses régulières et « un filtre » quand elle touche. Elle sera hospitalisée dans notre centre de rééducation en mars pour intensifier sa rééducation et évaluer ses troubles de sensibilité non diagnostiqués.

Selon la méthode de rééducation sensitive des douleurs neuropathiques, nous débutons l’évaluation par l’anamnèse et le recensement des symptômes neuropathiques via le Questionnaire de la Douleur de Saint Antoine (QDSA). Nous obtenons un score total de 37 à 55 points, avec un sous-total des douleurs sensorielles de 0 à 28 points, et un sous-total des douleurs émotionnelles de 86 à 89 points. Grâce aux informations recueillies et à l’Atlas des territoires cutanés (Spicher et al., 2017) nous posons l’hypothèse de la branche cutanée lésée.

S’en suit la définition de l’invariant douloureux, ici à 5,5 cm sur l’Echelle Visuelle Analogique (EVA), qui nous permet de réaliser correctement l’allodynographie à 15 grammes. Ces évaluations nous permettent de poser la condition somesthésique et/ou neuropathique de Mme M. : névralgie brachiale incessante des nerfs collatéraux palmaires du nerf médian et de leurs branches dorsales (stade IV de lésion axonales Aβ) avec allodynie mécanique.

La sévérité de l’allodynie mécanique est déterminée par la recherche du 5° point qui correspond au plus petit esthésiomètre de l’arc en ciel perçu comme douloureux. Ici 8.7 grammes. L’arcen-ciel des douleurs de Mme M. est indigo. Nous sommes donc en présence d’une allodynie discrète, ce qui permet un pronostic de durée de traitement de l’allodynie d’environ 2 mois (Spicher et al., 2020).

Nous mettons en place le traitement de l’allodynie mécanique avec Mme M. : Tout d’abord, la prescription de « ne pas toucher autant que possible » : Il est demandé à Mme M. d’éviter au maximum de toucher la zone allant du point le plus distal du territoire maximal de distribution cutanée au point le plus distal de la zone de contre-stimulation (Spicher et al., 2020). Ici une zone allant du bout des doigts jusqu’aux deux tiers de l’avant-bras.

Ensuite, la Contre Stimulation Vibrotactile à Distance (CSVD) : nous recherchons une zone de travail confortable qui pourra être stimulée 8 fois par jour, une minute maximum, avec un support agréable, ici un pinceau à maquillage. Pour Mme M. on ne peut pas utiliser la zone de travail proximale car occupée par l’allodynie. On s’oriente donc vers une zone de travail cousine. Le territoire de la branche cutanée palmaire du nerf médian n’est pas confortable au touché, mais celui du nerf cutané latéral de l’avant-bras l’est. Avec l’adhésion de la patiente, la zone de CSVD sera avant le pli du coude, sur la face latérale de l’avant-bras.

Une fiche de travail est remise à la patiente reprenant un schéma de la prescription de ne pas toucher, la zone de CSVD et les consignes clairement écrites.


Résultats

Actuellement Mme M. poursuit son traitement. Après 112 jours de traitement les scores du QDSA se sont améliorés (Tableau I), le territoire allodynique a régressé et l’arc en ciel des douleurs a diminué (Fig. 1). On observe aussi une évolution du stade de lésions axonales. Désormais, Mme M. souffre d’une névralgie brachiale intermittente des nerfs collatéraux palmaires du nerf médian et de leurs branches dorsales avec allodynie mécanique.

Tableau I : Diminution des scores du QDSA du 21/03 (t0) au 08/07/2022 (t109).

Figure 1 : Allodynographies successives des nerfs collatéraux palmaires du nerf médian et leurs branches dorsales surla face palamire (gauche) et dorsale (droite).

Discussion

Comme on peut le voir dans le tableau 1, le QDSA montrait une forte dominance des douleurs affectives par rapport aux douleurs sensorielles. Or, à 6 mois révolues de l’opération, la douleur de Mme M. était devenue chronique, et comme décrit dans la littérature c’est la douleur émotionnelle qui avait commencé à envahir le terrain (Beauchamp, 2005). Ainsi, comme la méthode le préconise, nous avons refait passer le QDSA lors du rendez-vous suivant (la semaine suivante idéalement) (Spicher et al., 2020), et les scores s’étaient harmonisés et le sont restés lors des passations mensuelles suivantes. La pratique de la cothérapie nous a permis une intervision sur les relations thérapeutiques en place et donc une meilleure gestion de celles-ci (Girard et al. 2021).

On observe aussi une évolution de l’allodynie plus lente que le pronostic de départ. Il a fallu plus de 2 mois pour passer d’un arc en ciel indigo à un arc-en-ciel violet alors que les publications évoquent plutôt une durée moyenne de 23 jours pour passer ce même stade (Spicher & al., 2020). Une des hypothèses avancées est la difficulté, pour Mme M., à suivre la prescription de ne pas toucher, surtout lors de ses prises en charge rééducatives au centre. N’oublions pas que Mme M. avait été orienté dans notre centre de rééducation en parti pour intensifier sa rééducation. Et comme l’opinion générale le véhicule, elle s’était préparée à souffrir pour la bonne cause : elle souhaitait continuer la mobilisation intensive et le massage cicatriciel qui lui imposait un contact répété au cœur du territoire allodynique. Il a donc fallu laisser le temps à l’alliance thérapeutique (Laurent, 2022) de s’installer au sein de notre trio, et d’œuvrer pour que Mme M. adhère à la méthode proposée et intègre progressivement, activité par activité, stimulation par stimulation, que son intérêt était dans le « ne pas toucher, ni être touchée ».

Conclusion

Même si Mme M. souffre toujours de douleurs neuropathiques et que son traitement n’est pas encore fini (allodynie et hypoesthésie sous-jacente), la mise en place de la méthode de rééducation sensitive des douleurs neuropathique a déjà montré son efficacité. En effet Mme M. ne souffre plus en permanence, ne se sent plus déprimée et a pu reprendre de façon satisfaisante la plupart de ses activités du quotidien. Elle exprime que c’est notre accompagnement à l’écoute et à la compréhension de ses douleurs, plutôt que la lutte contre ces dernières et la négation de ses émotions que lui proposait jusque-là le corps médical et son entourage, qui lui a permis de prendre le chemin de la guérison et de retrouver une certaine qualité de vie. La douleur est émotionnelle et sensorielle ne l’oublions jamais.

Références

Beauchamp, Y. (2005) Comprendre la douleur chronique pour éviter la douleur de l’incompréhension. Frontières, 17 (2), 71-76.

Girard, A., Murray, E., Bernardon, L. & Létourneau, E. (2021). Co-thérapie avec, tour à tour, trois co-équipières : avantages et inconvénients. Somatosens Pain Rehab 18(3) 83-91. Téléchargeable (18/11/2022) : https://www.neuropain.ch/sites/default/files/e-news/somatosens_pain_rehab_18_3.pdf#page=21

Laurent, V. (2022). De l’importance de l’alliance thérapeutique. Somatosen Pain Rehab, 19(1), 26-30. Téléchargeable (18/11/2022) : https://www.neuropain.ch/sites/default/files/e-news/somatosens_pain_rehab_19_1_2022.pdf#page=26

Martinez, V., (2014) https://sofia.medicalistes.fr/spip/IMG/pdf/La_douleur_neuropathique_postoperatoire.pdf (18/11/2022)

Spicher, C., Buchet, N., Quintal, I. & Sprumont, P. (2017). Atlas des territoires cutanés pour le diagnostic des douleurs neuropathiques (3e édition). Montpellier, Paris : Sauramps Médical.

Spicher, C., Barquet, O., Quintal, I., Vittaz, M. & de Andrade Melo Knaut, S. (2020). Douleurs Neuropathiques : Evaluation clinique et Rééducation sensitive (4e édition). Montpellier, Paris : Sauramps Médical.

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